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Les travaux d'Antoine Compagnon et d'Oswald Ducrot nous paraissent d'un grand secours théorique pour comprendre la dimension linguistique et rhétorique de l'argumentation par autorité 1. Nous nous proposons ici de rappeler ces modèles théoriques et de voir comment ils peuvent éclairer le recours à l'autoritas dans quelques textes castillans du XIIIe siècle (œuvres de Berceo, Alphonse X et Sanche IV). Dans le cadre d'une théorie linguistique de la présupposition 2, Ducrot établit une différence de nature entre les présupposés et les sous-entendus, que l'on peut schématiquement résumer ainsi. Dans un énoncé, est présupposé ce qui n'est pas apporté comme un argument, c'est-à-dire ce qui n'est pas présenté comme devant orienter la continuation du discours. Le présupposé fait partie intégrante du sens littéral du discours. Par exemple, l'énoncé "Jacques continue à fumer" présuppose que Jacques fumait avant aujourd'hui, par un effet de sens interne à la structure linguistique du verbe "continuer". Le sous-entendu, quant à lui, échappe à ce sens littéral de l'énoncé. Ainsi, l'énoncé "Jacques ne déteste pas le vin" sous-entend que Jacques aime (beaucoup) le vin, mais le locuteur pourra toujours nier qu'il est responsable de ce sous-entendu en se retranchant derrière le sens littéral de l'énoncé qui, effectivement, ne dit pas que Jacques aime le vin. Le sous-entendu s'applique moins au sens des énoncés qu'à la façon dont ce sens doit être déchiffré par le destinataire. À ce titre, il s'apparente intimement aux mécanisme des arguments d'autorité :
Cette analyse établit un lien entre une catégorie de l'implicite, celle du sous-entendu, et les affirmations qui se fondent sur une indication explicite de source (même si la nature ou l'identité de cette source peut rester implicite). Le locuteur appuie son argumentation sur un enchaînement déplacé, voire abusif, entre le contenu d'une affirmation attribuée à autrui et une nouvelle affirmation qu'il présente, en revanche, comme la sienne propre. Deux traits nous semblent essentiels dans le fonctionnement de cette démarche. En premier lieu, selon cette logique, le contenu d'une affirmation paraît exploitable du point de vue argumentatif par le seul fait que cette affirmation a effectivement été formulée (qu'il y a eu énonciation préalable). Le plan de l'énoncé est implicitement confondu avec celui de renonciation ou, du moins, l'argument permet de passer sans heurt de l'un à l'autre. C'est en ce sens que nous pouvons dire que l'enchaînement peut apparaître déplacé : la logique de l'argumentation s'appuie non sur renonciation d'autrui, mais sur l'énoncé que cette énonciation a produit, alors que le recours à la citation mettait justement cet énoncé à distance. En second lieu, au sein du discours du locuteur, la séparation entre deux instances d'énonciation (dans l'exemple cité, "certains" et soi-même) permet de rendre flottante l'assignation de la responsabilité du discours. Le locuteur ne paraît assumer directement aucune des propositions énoncées : non seulement celle qu'il attribue à autrui (mais, dans ce cas, on ne saurait le lui reprocher), mais aussi celle qu'il tire de cette dernière (alors que personne d'autre que lui ne l'a produite). Ducrot analyse plus en détail ce phénomène dans un chapitre spécifique 4. Tout d'abord, il établit une distinction qui nous apparaît essentielle à tout argument d'autorité fondé sur une citation. Elle différencie deux acceptions possibles du verbe dire : asserter et montrer. La première concerne le contenu de l'énoncé, la seconde concerne le fait même de son énonciation. La grande différence entre ces deux modalités du dire est que seule la première est censée répondre à une appréciation en termes de vérité, alors que la seconde "n'est pas présentée comme justiciable d'une appréciation en termes de vérité (ou de fausseté) 5." Par une assertion, l'on s'engage envers la vérité d'une proposition (d'un énoncé); par une monstration, l'on constate un fait, ou éventuellement on l'atteste, mais la démarche ne rend pas ce fait appréciable en termes de vérité. Une citation, dans ses caractéristiques générales, consistera non à asserter une nouvelle fois un énoncé déjà asserté par autrui, mais à montrer qu'un auteur a asserté cet énoncé. Une citation n'a pas, en tant que telle, à être estimée en termes de vérité, car elle est seulement montrée. Antoine Compagnon, dans son étude sur la citation, défend une conception proche de celle de Ducrot, malgré des différences terminologiques. Tout d'abord, il montre que la citation, avant de relever d'un acte de langage, consiste en une sélection de discours que l'on découpe et transplante dans un autre discours : à ce titre, son acte de "couper / coller" est moins imputable à la langue ou à la plume qu'aux ciseaux 6. Lorsqu'on le considère dans sa dimension discursive ou textuelle, le statut de la citation est toujours dépendant de ce geste premier, qui la soustrait au régime des appréciations en termes de vérité. Compagnon pose une distinction entre "sens" et "dénotation" d'une proposition et l'applique à la citation :
Bien que leurs outils intellectuels soient différents, Ducrot et Compagnon s'accordent sur l'impossibilité de soumettre la citation à une épreuve de vérité. Néanmoins, dans l'argumentation d'autorité, une connexion logique s'établit entre l'énoncé cité, produit par une énonciation antérieure, et la production de nouveaux énoncés. Le paradoxe signalé par Compagnon et l'enchaînement logique abusif (voire hypocrite) mis en évidence par Ducrot montrent que le recours à l'autorité d'autrui à travers la citation offre une protection au locuteur qui semble aller à rencontre de la claire séparation entre authenticité (ou conformité) et vérité. Ducrot résout le paradoxe en détaillant les modèles argumentatifs correspondants. Pour résumer, nous pouvons dire qu'il distingue deux types d'argumentation par autorité, qu'il appelle respectivement "autorité polyphonique" et "raisonnement par autorité", et rapporte les argumentations médiévales —notamment scolastiques— au premier type. L'autorité polyphonique se définit ainsi : a) Le locuteur L montre un énonciateur (qui peut être lui-même ou quelqu'un d'autre) assertant une certaine proposition P. Autrement dit, il introduit dans son discours une voix — qui n'est pas forcément la sienne — responsable de l'assertion P. [...] b) L appuie sur cette première assertion une seconde assertion, relative à une autre proposition, Q. Ce qui signifie deux choses. D'une part, que le locuteur s'identifie avec le sujet qui asserte Q. Et, d'autre part, qu'il le fait en se fondant sur une relation entre les propositions P et Q, sur le fait que l'admission de P rend nécessaire, ou en tout cas légitime, d'admettre Q. [...] L'existence montrée [...] d'une assertion de P fonde ainsi une assertion de Q, ce rapport étant garanti par une relation entre les propositions P et Q.8 Le point essentiel est que l'assertion de la proposition P est montrée et non assertée : en disant qu'un autre a dit, le citateur n'asserte rien. C'est seulement dans un second temps, se fondant sur l'assertion d'autrui, qu'il asserte une nouvelle proposition Q. Pour plus de clarté, nous pouvons tenter d'appliquer ce schéma à un exemple castillan, en l'occurrence à un passage de la Segunda Partida, d'Alphonse X :
L'argument d'autorité est ici intégré à une logique a fortiori. La proposition à établir est que la volonté des rois, à plus forte raison celle des hommes ordinaires, est soumise au pouvoir de Dieu. Énoncée au début du passage cité, cette proposition contient le point d'arrivée de l'articulation argumentative, qui correspond à l'assertion de la proposition Q. La proposition P, dont l'assertion revient à un énonciateur autre que le locuteur (Salomon) est : "le cœur des rois est entre les mains de Dieu". Pour que le modèle de cet argument corresponde à celui de l'autorité polyphonique, il faut, en outre, que l'assertion P de Salomon soit montrée (et non assertée) par le locuteur. Deux considérations s'imposent. En premier lieu, l'enchaînement de la première position à la seconde se fait par la connexion "onde por esto se muestra que". Selon nous, cette connexion correspond bien à une monstration, non parce qu'elle inclut le verbe mostrar 10, mais parce que la distanciation introduite par "por esto" implique que la citation est le rouage d'une argumentation plus vaste, qui ne se contente pas de prolonger une assertion par une autre assertion. En second lieu, le renforcement de Q par une proposition de cause ("pues que...") qui, de fait, frise la tautologie, est le plus clair symptóme d'une insatisfaction du locuteur concernant le lien logique précédemment établi : il dénonce la conscience plus ou moins confuse d'un décalage entre la monstration de la citation (qui n'est pas appréciable en termes de vérité) et l'assertion, prétendument vraie, qui en découle. La présence de ces deux marqueurs formels nous incite à reconnaître dans l'argumentation alphonsine une application assez exacte du système argumentatif mis en évidence par Ducrot. Au sens strict, ce système n'est pas démonstratif, parce qu'il ne prétend pas enchaîner des assertions entre elles à l'aide de connexions logiques fondamentales comme l'implication ou l'équivalence. En reliant plus ou moins explicitement une assertion à une monstration d'assertion préalable, il ne confère à l'ensemble de son argument qu'une validité relative, fondée sur l'authenticité (ou la véracité) comme conformité au vrai plutót que sur une vérité établie. Ducrot parle également de "substitut de la vérité" 11. En d'autres termes, l'assertion finale (Q) n'est efficace que dans la mesure où l'on accordeune validité de principe à la connexion quelque peu abusive entre une monstration et une assertion, que l'on accepte comme un substitut de vérité la relation de conformité ainsi établie. Tout argument d'autorité, plutót que de chercher à établir de lui-même sa légitimité, demande à être reconnu par le destinataire du discours : il ne s'impose pas, mais demande à ce que le destinataire se l'impose à lui-même. Tout se passe comme si le locuteur supposait une communauté de pensée entre le destinataire du discours et lui-même 12, ce qui montre que l'argument d'autorité est irréductible à un discours (un énoncé) mais implique également les motivations qui produisent, orientent et reçoivent ce discours. D'où le nom l'autorité polyphonique, qui révèle un ordre argumentatif interne au composant linguistique auquel il était censé se surajouter : la structure même du discours, sans prétendre à une visée démonstrative qui la dépasserait, se constitue et opère en argumentation 13. En revanche, le système concurrent, que Ducrot appelle "raisonnement par autorité", prétend à la démonstration. Mais, alors que l'autorité polyphonique opérait grâce à un abus relatif, soumis à l'assentiment du destinataire (substitution plus ou moins explicite de la vérité par la véracité), le raisonnement par autorité force le trait, refusant le système de la substitution et se proposant comme un système entièrement assertif. Il revient à assimiler la monstration initiale de la citation (P) à une assertion, à rencontre de sa structure linguistique propre. Ainsi, Q devient l'assertion d'une assertion et cette homogénéité interne peut l'apparenter à un discours démonstratif :
Ce raisonnement par autorité, malgré son statut ouvertement démonstratif, est d'une grande faiblesse argumentative. Par une simplification éminemment contestable, il prétend assimiler une monstration à une assertion, confondre le prestige de renonciation et la vérité de l'énoncé. Il correspond à la représentation caricaturale que les philosophes et logiciens postérieurs au Moyen Âge se sont faite de l'autoritas médiévale : "Aristote a dit que P ; donc P". Il suffit de montrer qu'Aristote a pu se tromper une fois pour ruiner toute la légitimité d'un argument de ce type. Encore aujourd'hui, l'on a sans doute trop tendance à considérer que le respect de l'autoritas chez les médiévaux revient à une absence d'esprit critique et à une attitude d'obéissance servile envers la tradition. Or, la pratiquede l'autoritas médiévale ne correspond pas à cette exploitation simpliste du prestige d'une parole antérieure, à cette confusion de la croyance et de la certitude. La différence essentielle entre l'autorité polyphonique et l'autorité démonstrative est que la première vise renonciation d'autrui à travers une monstration pour en faire un indice de véracité, alors que la seconde prétend l'alléguer comme une assertion, comme un indice de vérité. L'autorité polyphonique a également l'ambition d'établir une certitude, mais cette certitude n'est jamais démonstrative, seulement "monstrative", mise en scène dans la trame d'un récit ou dans la formulation retorse d'un point de doctrine. Dans son étude du recours à l'autoritas chez les théologiens, Chenu écrit :
La certitude que confère l'autoritas dans ses applications les plus efficaces est une modalité superlative de la croyance, non le surgissement démonstratif de la pure vérité. L'ambiguïté tient parfois à ce que la ferme croyance (véridique, attestée, authentique) tient lieu de vérité, à ce qu'elle est donnée comme un substitut de vérité. Si les arguments liées à l'autoritas s'enchaînent, se répètent, se contredisent même, c'est parce qu'ils sont anti-démonstratifs, parce qu'ils se réclament d'une véracité qui leur permet de se soustraire à tout examen en termes de vérité. Comme le précise pertinemment Ducrot :
En conséquence, le recours médiéval à l'autoritas ne consiste pas à affirmer la vérité d'une proposition du seul fait qu'un auteur prestigieux l'a formulée : son mécanisme intime, plus complexe et plus subtil, permet plutôt au locuteur de faire précéder son propre énoncé d'une citation qui, sans nécessairement être purement ornementale, lui confère une validitéessentiellement conventionnelle (par une marque de véracité, non de vérité). Le locuteur suppose toujours que le destinataire du discours accepte la convention. Il suppose également, dans de nombreux cas, que ce destinataire fera de la véracité qu'on lui présente un critère de sa propre certitude. Pour compléter cette approche théorique par une approche pratique, nous nous proposons d'examiner sous quelles formes apparaissent les arguments d'autorité dans quelques textes castillans du xuie siècle. Dans des œuvres aussi différentes que les poèmes de Berceo, les Partidas d'Alphonse X ou le Lucidario de Sanche IV, les structures grammaticales par lesquelles s'énonce le recours à l'autoritas sont étonnamment similaires. Un rapide relevé, qui ne prétend à aucune exhaustivité17. permet de mettre en évidence une grande régularité. Il nous semble possible de schématiser les structures correspondantes en les répartissant en trois grands groupes logiques : la conformité, la cause et la conséquence. À la lumière des occurrences particulières, les rapports entre ces catégories seront ensuite affinés.
Conformité :
La proposition défendue apparaît conforme à la citation ou l'inverse*. — según, segund, segundo, secund, secundo (éventuellement suivi de que)18. e de las sues andadas secund lo que leemos (San Millán, 108c) ; Segundo que leemos tercia podria seer (Loores, 155a) ; segund dize en la ley ante desta (Partidas, I, iv, 14) ; segund dize el Apostol Sant Paulo (Partidas, I, v, 59) ; segund que es dicho de suso (Partidas, I, iv, 9) ; segund dixeron los sabios antiguos (Partidas, II, I, 4) ; segund que dixeron los sabios (Partidas, II, v, 14) ; segund desuso dixe (Lucidario, VU, p. 106) ; segund lo cuenta nuestro sennor en el euangelio por su voca (Lucidario, XLVI, p. 192) ; segund que fallamos que dixoron [sic] e fabraron los savios (Lucidario, XXX, p. 157).
— assi, assin, assi como, assi cuemo, como, cuemo ; verbe acordar ou acordarse 19: Assin lo diz sant Paulo, el buen predicador (Milagros, 905a) ; Assi como leemos e somos sabidores (Santo Domingo, 27c) ; don Monio li dixieron, como diz el dictado (Santa Oria, 84b) ; E esto se acuerda con lo que dixo el propheta Dauid (Partidas, I, v, 11) ; E acuerda con esto lo que dixo Sant Ierónimo (Partidas, I, v, 64) ; E con esto acuerda la palabra que dixo Sant Agostin* (Partidas, I, v, 72) ; assi commo dixo el Rey Dauid en su oracion (Partidas, II, IV, 4) ; E aun acuerda con esto lo que dixo Nuestro Sennor* (Partidas, II, m, 5) ; assy lo fallamos que lo dixo en la Viuria (Lucidario, p. 94) ; asi como el nuestro sennor dixo en el euangelio (Lucidario, p. 194) ;
Conséquence: La citation apparaît consécutive à la proposition défendue. — por esto, por esso, por esta razón 20: Pas d'exemple chez Berceo. En revanche, de nombreux emplois des pronoms esto ou esso, assumant implicitement une fonction analogue : algo entendió d'esto el reï citarista (Sacrificio, 153d) ; David fabló en esto en su predicación (Sacrificio, 20 ld) ; E por esso dixo el apóstol sant Paulo (Partidas, I, iv, 41) ; E por esta razón misma dixo el Rey Salomon (Partidas, I, v, 68) ; E por esto dixo nuestro Sennor Iesu Christo (Partidas, II, n, 2) ; E poresto dixo el Rey Salomon (Partidas, II, v, 11) ; E por eso dize el mismo (Lucidario, p. 86) ; E por esta rrazon dixo (Lucidario, p. 103) ; E por eso fallamos que dixo (Lucidario, p. 80).
— por ende, onde : onde diz' el escripto que non ovist' egual (Loores, 216d) ; Por ende dixo Él, si saber lo queredes (Sacrificio, 126a) ; Onde los sanctos padres que fablaron en esta razón dixieron (Partidas, I, iv, 37); E por ende dixo Sant Iéronimo (Partidas, I, v, 74) ; E porende dixeron los sabios (Partidas, II, v, 10) ; E porende, dixo el Rey Dauid (Partidas, II, v, 10) ; E por ende, fallamos que dize el apostol sant Paulo (Lucidario, XL, p. 179) ; Por ende fallamos que dixo sant Iohan apostol (Lucidario, XLVII, p. 196).
Cause : La citation apparaît comme la cause de la proposition défendue. — Certains emplois des pronoms esto ou esso (relation de cause implicite) : San Peidro lo diz esto, por él vos lo provamos (Milagros, 17d) ; san Paulo lo diz esto non es razón mintrosa (Sacrificio, 90d) ; E desto auemos fazanna en la Uieia Ley (Partidas, I, v, 65) ; E sobre esto ,dixo Sant Iohan Apóstol e Euangelista (Partidas, I, v, 71) ; E desto dixo el rey Salomon (Partidas, II, il, 2) ; E sobre esto dixo vn cauallero, que auia nome Valerio (Partidas, II, v, 9) ; «E desto fallamos que dixo Moysen (Lucidario, p. 93) ; E desto fallamos nos que dize Salomon (Lucidario, p. 96).
— ca : ca lo diz sant Matheo, una boca sabrida (Duelo, 117d) ; ca lo diz el salterio demuéstralo la letra (Duelo, 203b) ; Ca los sabios antiguos [...] mostraron (Partidas, II, v, 4) ; Ca fallamos en la ley vieja [...] que dixo Abram (Lucidario, VII, p. 106) ; Ca fallamos que dixo el nuestro sennor en un euangelio (Lucidario, XI,p. m).
Comme le montrent ces occurrences et leur répartition dans les trois catégories distinguées, le recours à l'autoritas prétend s'intégrer dans le discours en conformité avec la thèse défendue ou dans le cadre d'une relation de cause à conséquence. Dans ce dernier cas, l'argument allégué peut être présenté tantôt comme la cause, tantôt comme la conséquence. L'on pourrait s'étonner de cette double orientation logique : l'argumentation par autorité ne consistait-elle pas à utiliser une autoritas comme la cause justificative de l'articulation du discours? En quel sens l'allégation d'une autorité peut-elle intervenir comme une conséquence ? Quelle est alors son efficacité probante ?
De fait, l'utilisation de l'autoritas dans une proposition causale ou dans une proposition consécutive ne sont que deux faces du même souci argumentatif : la relation de cause ou de conséquence est construite de telle façon qu'elle propose toujours implicitement un rapport de conformité. En premier lieu, pour les occurrences relevées dans la catégorie de la cause, qui établissent explicitement une relation de conformité, nous avons constaté que cette relation était envisagée dans les deux sens : comme une conformité du discours à la source (le cas le plus fréquent), ou comme une conformité de la source au discours (cas marqués par un astérisque). L'auteur du texte, lorsqu'il utilise le verbe concordar, peut concevoir aussi bien cette coïncidence comme un alignement de son discours sur une citation autorisée que comme l'alignement inverse. Le recours à l'autoritas permet toujours une vérification — l'établissement d'une véracité — mais cette opération apparaît réversible : il peut impliquer la véracité d'une proposition ou bien la confirmer. L'élaboration d'une implication à partir d'une autoritas caractérise les occurrences de la troisième catégorie. L'idée de confirmation, quant à elle, est toujours présente dans les occurrences de la deuxième catégorie, celle de la conséquence : la véracité d'une proposition ne s'appuie pas sur son énonciation préalable par un auctor (troisième catégorie), mais sur l'idée que cette proposition est d'une validité reconnue et qu'elle a explicitement motivé l'autoritas, qu'elle a poussé l'auctor à dire ce qu'il a dit 21. Ces occurrences qui convoquent l'autoritas comme une conséquence prétendent donc pénétrer implicitement l'intentio de l'auctor ou, du moins, restituer la cohérence de la démarche interne de son énonciation. À première vue, l'utilisation d'une autoritas dans cet esprit lui retire sa primauté, lui assigne un rôle second rapporté à un énoncé premier. De fait, la confirmation par l'autoritas s'accompagne aussi d'une confirmation plus ou moins explicite de cette autoritas. Par exemple :
Une affirmation dogmatique, seulement justifiée en vertu d'une ordonnance divine, trouve ensuite sa confirmation dans une autoritas de David. Cependant, dans son argumentation littérale, le texte propose, au contraire, de voir dans la vérité générale énoncée préalablement la confirmation même de Y autoritas, dans sa pertinence interne : les paroles de David étaient d'emblée recevables, mais elles le sont alors davantage à l'issue de l'argumentation, puisque celle-ci donne l'illusion d'avoir évalué et confirmé leur recevabilité. Au total, il apparaît que la confirmation du discours par une autoritas ou la confirmation de l'autoritas par ce discours sont deux opérations équivalentes. Dans les deux cas, elles tendent à établir une conformité entre les deux énonciations. En deuxième lieu, dans le même ordre d'idée, il se trouve que les conjonctions ou tournures qui, dans les deux dernières catégories, introduisent l'argument d'autorité sont également utilisées dans les textes pour enchaîner sur cet argument. En d'autres termes, certaines occurrences offrent la même connexion syntaxique et logique mais en sens inverse. Ainsi, en contrepoint de la deuxième catégorie, il arrive que por ende ou por esto permettent d'enchaîner sur un argument d'autorité (au lieu de l'introduire) :
De même, en contrepoint de la troisième catégorie, la conjonction ca peut enchaîner sur une citation autorisée :
Ainsi, le lien causal ou de consécutif ne doit pas être compris comme un lien logique qui rendrait compte d'une cause ou d'une conséquence réelles. L'enchaînement argumentatif se fait malgré un certain flottement logique et peut-être, en partie, grâce à lui. L'emploi de la conjonction ca nous semble particulièrement représentatif d'une indétermination, à l'intérieur de la notion de cause, entre l'implication et la confirmation, parce que sa fonction argumentative se réduit à une simple conformité (qui n'a pas besoin d'être spécifiée en termes de causalité réelle). Cette indétermination permet une utilisation filée de la conjonction :
Cet exemple précis offre une application possible de la thèse de Ducrot selon laquelle, dans l'autorité polyphonique, les structures argumentatives ne se superposent pas aux structures linguistiques, mais sont présentes en elles :
De même, dans les textes médiévaux, le recours à l'autoritas n'est pas exactement un procédé d'écriture que l'écrivain pourrait choisir parmi d'autres. Il s'apparente plutôt au critère même du choix, à la norme de départ qui donne un cadre à toute élaboration discursive et littéraire. La souplesse de cette norme, comparable à celle de l'enchaînement discursif lui-même (aux potentialités argumentatives de la langue), l'apparente moins à une limitation qu'à une contrainte créatrice de l'écriture. En troisième lieu, la prise en compte d'autres occurrences nous paraît conforter les observations précédentes. Il arrive que soient associées en une même occurrence des tournures qui, par ailleurs, introduisent respectivement l'autoritas dans une relation d'implication et dans une relation de confirmation. Ainsi, le recours à l'autoritas s'énonce parfois à travers des formules hybrides telles que ca por es(t)o ou ca por ende :
L'association de deux liens apparemment contradictoires (cause / conséquence, implication / confirmation) nous invite à dépasser une approche en termes de causalité réelle, à définir une causalité d'une autre sorte. Nous choisissons d'étudier plus en détail l'exemple de cette conjonction ca, emblématique, selon nous, du recours à l'autoritas. Dans les textes, cette conjonction de cause, spécifique à la langue du Moyen Âge et du début de la Renaissance, introduit très fréquemment des arguments d'autorité ou intervient dans des argumentations qui leur sont apparentées. Rafaël Lapesa, dans son article sur la subordination causale 24, systématise une distinction, initialement établie par Andrés Bello, qui nous paraît éclairer la nature de la causalité à l'intérieur de l'argumentation d'autorité. Chez Bello, la distinction, appliquée à porque, s'énonce ainsi :
Le double emploi n'est pas spécifique à porque et Bello précise que la plupart des "adverbes relatifs" de cause peuvent devenir des conjonctions selon les emplois, notamment pues, que et, dans la langue ancienne, ca. Chez des grammairiens postérieurs, comme le montre Lapesa, cette distinction a été interprétée à travers l'opposition syntaxique entre subordination et coordination et à travers l'opposition logique entre cause réelle et motivation (ou cause logique). Gustav Siebenmann observe que, jusqu'au XVe siècle, les subordonnées utilisent de préférence porque, alors que la conjonction ca établit de préférence une coordination. Pour Lapesa cette opposition entre subordination et coordination se réduit à deux sortes de subordination causale. Dans le premier modèle, la subordonnée apporte la cause de l'énoncé de la première proposition, dans le second, elle renvoie à la cause de son énonciation. Plusieurs critères discriminants permettent de distinguer des structures telles que :
Dans le second exemple, l'on peut supposer qu'un verbe énonciatif est sous-entendu : "[Digo que] ha llovido, porque el suelo esta mojado". Lapesa précise que, dans les cas de ce type,
À la lumière de cette interprétation, la conjonction ca, qui était présentée par Siebenmann comme coordinante dans la majorité de ses emplois médiévaux (par opposition à porque), apparaît alors comme un moyen privilégié pour introduire une subordination rapportée à renonciation (et non à l' énoncé) de la proposition précédente. Dans le cadre d'un recours à l'autoritas ou de tout autre logique apparentée, cette structure syntaxique se révèle d'une grande cohérence par rapport à la structure argumentative qu'elle met en œuvre. En effet, l'étude syntaxique de Lapesa nous paraît rejoindre les positions théoriques de Compagnon et Ducrot qui définissaient l'argumentation par autorité comme une exploitation d'une énonciation en termes d'énoncé. La facilité d'enchaînement souvent abusive que Ducrot souligne dans le fonctionnement discursif de l'autorité polyphonique trouve une application syntaxique particulièrement adaptée dans la subordination causale régie par la conjonction ca. L'examen de quelques exemples permet d'établir de façon plus concrète que cette conjonction n'introduit pas l'expression d'une cause rapportée à l'énoncé. Dans de nombreuses occurrences, notamment chez Berceo, la causalité est à peine perceptible et la relation logique s'apparente plutôt à la rectification d'un énoncé initial qui n'apporterait pas toute l'information souhaitable :
Le second énoncé, introduit par la conjonction ca , ne s'enchaîne pas avec le premier en vertu d'une explicitation de la cause. Il prétend plutôt le remplacer, le reformuler par une nouvelle énonciation qui vaudrait pour la première. La relative équivalence sémantique des propositions, qui frise souvent la tautologie, s'explique par cette primauté de renonciation sur l'énoncé. Dans les exemples cités, la subordonnée introduite par ca fonctionne comme une biffure de la proposition précédente : elle s'énonce à sa place. Dans les exemples tirés de Berceo, la conjonction ne saurait être traduite en français par un "parce que". Même un "car" paraît incongru et, dans certains cas, on lui préférerait un "mais" (équivalent d'un sino espagnol). Par rapport à l'énoncé qu'il complète, l'énoncé introduit par la conjonction ca impose une disjonction. L'enchaînement logique et argumentatif se fait bien à partir de renonciation précédente, et non à partir de l'énoncé. Par exemple, pour la première occurrence des Milagros citée, l'on peut très bien sous-entendre un verbe de déclaration, ce qui permet également d'introduire une conjonction parce que ou car : "[je dis que] ils n'ont pas vu un miracle unique, car {parce que) ce miracle était double". Dans une argumentation de cette sorte, qui consiste à attester un fait miraculeux, une telle nuance logique a une importance énorme : tout en se proposant d'avérer le miracle comme événement, l'argumentation de Berceo n'est littéralement justiciable que d'une attestation énonciative. L'argument de Berceo, pris au pied de la lettre, prétend seulement justifier une motivation à produire un énoncé, non le contenu de cet énoncé lui-même. À l'extrême rigueur, si l'on pousse cette logique à ses ultimes conséquences, l'argumentation remplit sa fonction à partir du moment où elle met en évidence une cohérence interne du discours, soit sa dépendance envers un acte d'énonciation unique. L'on comprend alors que les argumentations dans lesquelles les propositions introduites par ca s'enchaînent au point de brouiller les rapports logiques sont d'une efficacité argumentative redoutable : elles déplacent le problème de l'appréciation de leur vérité vers celui de leur conformité à un modèle énonciatif. Du même coup, elles apparaissent indiscutables. Cette conformité à une énonciation, selon les cas, prendra les traits de la véracité, concept dont nous avons tâché de cerner les exactes limites à partir d'exemples précis. Pour clore ce petit examen de la conjonction ca , nous nous contenterons de donner quelques prolongements argumentatifs possibles de son utilisation. En premier lieu, comme nous l'avons déjà remarqué, la conjonction ca sous-tend parfois des raisonnements tautologiques. Parce que la causalité renvoie à une énonciation préalable — et non à un énoncé —, les énoncés qui suivent n'ont pas nécessairement à renouveler l'apport sémantique pour que l'argumentation avance. Le texte peut alléguer une tautologie comme un argument recevable, conciliant ainsi une structure non démonstrative et les apparences formelles de la démonstration :
En deuxième lieu, certaines occurrences présentent un argument plus élaboré que la pure tautologie mais qui, là encore, ne peut se justifier que par l'enchaînement d'un énoncé sur une énonciation. L'argumentation, outre la validité formelle que lui assure la jonction établie par ca , requiert l'acceptation par le destinataire d'une proposition qui prétend relever d'une vérité notoire. L'auteur exploite une communauté de vues supposée qu'il aurait avec le lecteur pour construire cet argument de convenance :
Enfin, en troisième lieu, la conjonction ca peut favoriser une exploitation rétrospective des données de l'argumentation ou de la narration. Nous rencontrons fréquemment, sous la plume de Berceo, cet argument a posteriori :
En l'occurrence, l'argument a posteriori permet de conclure à l'intervention directe de Dieu dans la décision prise par les personnages à partir des conséquences positives de cette décision. Dans ce cas, la logique de l'argument de convenance est réinvestie dans le développement chronologique. L'effet argumentatif est d'autant plus efficace que la suite des événements, alléguée comme preuve, n'a pas encore été relatée par le poète. Alors que le propre de l'argument a posteriori est de proposer une interprétation réversible de la logique de cause à effet (l'effet devient l'indice probant d'une certaine cause, au prix d'une transformation de l'enchaînement logique effectif en pure nécessité), Berceo prend soin d'en recomposer l'ordre chronologique initial. Son interprétation a posteriori passe alors pour son contraire : une interprétation par anticipation qui renvoie à renonciation à venir, à la révélation de la fameuse fin de l'histoire. Ces modèles argumentatifs qui peuvent prolonger les emplois de la conjonction ca doivent être examinés en contexte. Leurs caractéristiques, à l'extrême rigueur, varient autant que les contextes qui les exploitent. Ils nous paraissent, néanmoins, mettre systématiquement en jeu le même décalage ingénieux entre l'énoncé et renonciation ou, dans le cas des textes narratifs, entre les données de l'histoire et celles' du récit. Nous espérons que la description que nous en avons faite peut constituer un point de départ pour l'analyse argumentative d'autres textes médiévaux castillans. NOTAS * Maître de Conférences à l'Université Paris III. Cet article reproduit en substance l'annexe de L'autoritas en Castille au Xllf siècle : l'exemple de Gonzalo de Berceo (Cf. Infra "Positions de Thèse"). Nous remercions notre collègue Eric Beaumatin d'avoir bien voulu relire ce travail. 1. L'ouvrage fondamental en la matière est ducrot, Oswald, Le dire et le dit, Paris : Minuit, 1984 (ducrot, 1984). qui rassemble des études sur la présupposition et sur renonciation, problèmes liés au métalangage, aux performatifs et à l'argumentation d'autorité. Pour sa part, compagnon, Antoine, La seconde main, ou le travail de la citation, Paris : Le Seuil, 1979 (compagnon, 1979) traite plus précisément de la citation, à la fois dans ses dimensions théoriques et dans ses pratiques historiques. 2. ducrot, 1984, p. 13-46. Dans le premier chapitre, l'auteur élabore des principes théoriques qu'il réexamine et nuance dans le deuxième. Nous tentons de reprendre l'essentiel de sa position finale. 3 Ibid, p. 45-46. Nous soulignons. 4 "Argumentation par autorité** (ibid.t p. 155). 5 Ducrot donne l'exemple suivant. Si X affirme : "Il fait beau", il donne des indications de deux sortes. D'une part, il propose de donner une information sur le temps qu'il fait (il asserté que le temps est beau) ; d'autre part, il montre qu'il a donné cette information sous la forme d'une assertion (et non comme une promesse, une question, etc.) Ibid, p. 151. 6 compagnon, 1979, "La citation telle qu'en elle-même" (p. 15-45). 7 Ibid., "Structure élémentaire de la citation" (p. 87-89). Nous soulignons. 8. ducrot, 1984, p. 154. Nous soulignons. 9 Partidas, ii, tit n, ley 3 (in Las Siete Partidas, éd. Gregorio López, 1555, fac-similé. Madrid: Boletin Oficial del Estado, 1985), p. 9. 10 Celui-ci s'applique à Q et non kP : il n'empêche pas que Q soit assertée, puisque cette assertion est livrée d'entrée de jeu, dans l'exposition du raisonnement a fortiori. 11 ducrot, 1984, p. 157. Une définition possible de l'autoritas, à la lumière des argumentations que proposent les textes médiévaux, peut se fonder sur cette fonction de substitut de la vérité. L'autorité est censée tenir lieu de vérité, occuper le lieu vacant de la vérité absente, comme dans une relation de vicariat. Chez Alphonse X, une ligne de recherche pourrait tenter de comprendre la relation d'analogie ou d'implication qui unit l'autorité politique du roi (conçue explicitement, dans les Partidas, comme un vicariat de Dieu sur terre) et les auctoritates dont il se réclame (conçue implicitement comme des substituts de la vérité, elle-même d'essence divine). 12 D'après chenu, Marie-Dominique, Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, Paris : Vrin, 1974, 3e éd. (chenu, 1974), nous appellerons ces arguments des arguments de convenance. 13 DUCROT, 1984, p. 167-168. 14 Ibid, p. 167. 15 Chenu, 1974, p. 112-113. 16 Ducrot, 1984, p. 168-169. 17 Nous nous sommes livré à quelques ponctions dans les poèmes de Berceo (Obra compléta, éd. coord. par Isabel Uria Maqua, Madrid / Logrofto: Espasa Calpe / Gobierno de la Rioja, 1992); dans les Titres I à V de la Primera Partida (éd. Gregorio López, 1555) et de la Segunda Partida (Manuscrito Add. 20.787 del British Muséum, éd. Juan Antonio Arias Bonet, Valladolid: Universidad, 1975) d'Alphonse X; dans le Lucidario de Sanche IV (éd. Richard P. Kinkade, Los "Lucidarios" espafïoles, Madrid: Gredos, 1968). 18 Autres exemples. Chez Berceo : SanMillán, 377 ; Santa Oria, 24 ; dans la Primera Partida : p. 61, 63, 88, 90,104,116,124 ; dans la Segunda Partida : I, 5 ; I, 6 ; II, 4 ; III, 5 ; IV, 1 ; IV, 4 ; V, 2 ; V, 6 ; V, 14 ; dans le Lucidario : p. 81, 125,183, 194. 19 Autres exemples. Chez Berceo : les emplois de como sont très nombreux (San Millán, 396 ; Santo Domingo, 48, 72, 316, 620 ; Sacrificio, 64 ; Loores, 38 ; Milagros, 41, 405, 673, 745, 750) et ceux des autres formes le sont moins {Santo Domingo, 171, 227, 905 ; Milagros, 645); dans la Primera Partida : p. 111, 115; dans la Segunda Partida : I, 5 ; V, 11 ; dans le Lucidario : p. 188. 20 Autres exemples. Primera Partida : p. 44, 111, 112, 115 ; Segunda Partida : peu d'exemples ; Lucidario : très nombreux exemples (p. 80, 130, 133, 135, 137,140,142, 146). 21 Dans le Lucidario, c'est bien l'intention de Yauctor qui est ouvertement retenue par le maître lorsqu'il se trouve contraint de réfuter la thèse de l'éternité du monde tout en ménageant l'autorité du Philosophe. Après avoir exposé la thèse hétérodoxe, le maître déclare à son disciple : "Pues agora, mi deçipulo, yo so tu maestro, quiero rresponder, que digas e entiendas esto que Aristoteles, que fue aquello por que lo el dixo, e que fue la su entençion que lo ende mouio a dezir esto" (p. 157). En séparant l'énoncé de son intention (de la motivation profonde de renonciation), le texte peut montrer qu'Anstote affirmait l'éternité du monde comme la conséquence d'une hypothèse intenable, qu'il se proposait seulement de développer à titre de démonstration théorique. Par la séparation de l'énoncé et de renonciation, propre à l'exploitation argumentative de l'autoritas, le Lucidario parvient à concilier des positions logiquement irréconciliables. Ce procédé rejoint ce que la scolastique appelait exponere reverenter : la révérence supposée du commentateur envers l'auctor commenté justifie toutes les distorsions interprétatives. Voir chenu, 1974, p. 123-125. 22 Lucidario, "Capitulo LXXXEŒ. Por que rrazon biue la criatura que naçe a ix. meses e a siete, e non la que naçe a ocho", p. 271. 23 ducrot, 1984, p. 167. 24 lapesa, Rafaël, "Sobre dos tipos de subordination causal'*, in Estudios ofrecidos a Emilio Alarcos Llorach, vol. 3, Oviedo : Universidad, 1978, p. 173-205. Cet article passe en revue les principales théories soutenues par les grammairiens du milieu du xixe siècle à nos jours sur la subordination et la coordination causales en espagnol et, en lieu et place de cette distinction, élabore une interprétation qui distingue deux types de subordination causales. 25 Cité ibid., p. 174. 26 Ibid., p. 203.
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