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Dans son étude sur The Relationship of the Spanish « Libro de Alexandre » to the Alexandreis of Gautier de Chatillon (cf. Bull, hisp., 1936, p. 87), M. R. S. Willis, en une vingtaine de lignes, a caractérisé le long hors-d'œuvre que constitue, dans le Poème espagnol sur Alexandre, le récit de la guerre de Troie, et qui occupe les str. 318-743 du ms. de Paris, 311-716 du ms. Osuna. Mais comme précisément c'est un hors-d'œuvre qui n'est point dans VAlexandreis, du « non-Alexandreis material », comme il dit, il n'avait pas à l'étudier en détail ; et il a simplement renvoyé à l'article publié par Morel-Fatio dans la Romania en 1875, et à celui de M. Antonio G. Solalinde dans la Rev. de Fil. Exp., 1928, M. Solalinde, là, s'en est tenu à l'épisode du « Jugement de Paris » qui occupe les str. 312-371 du ms. de Paris, et qui est le prélude du récit de la guerre de Troie, puisque c'est en récompense de la mançana adjugée à Vénus que Paris obtient de celle-ci, « en soldada », la femme de Ménélas (str. 372). Morel-Fatio avait envisagé non seulement ce morceau, mais tout le récit de la guerre qui s'ensuit, et tout le poème. Il lui était difficile, dans un travail d'approche, en face de cette question si compliquée, de tirer tout au clair. En ce qui concerne la guerre elle-même, il indique, p. 83, que jusqu'à la dispute d'Achille et d'Agamemnon il (le poème) procède évidemment de la version qui est représentée par la Crónica troyana imprimée, le reste (jusqu'à la mort d'Hector tout au moins) a été emprunté à Homère, non point bien entendu au texte grec, mais à celui de Pindarus Thebanus. Par ailleurs, si Morel-Fatio a corrigé quelques passages du texte de la B. A. E., des noms surtout, comme Antonio (str. 451), qu'il lit' Antovios (= antuviose) (ms. O : Antouios ; ms. P, str. 460 : Antuuios) ; Astemiata (str. 542), qui est évidemment pour Asiyanacta (ms. .P, str. 554 : Atinestor) ; Aluctas (str. 545) à la place du Glaucus de Pindare (Laucas dans P, str. 557), il n'a que pour lui-même confronté les textes. Or, une question se pose encore : peut-on considérer le poète espagnol comme ayant suivi de bien près le poème latin? Je le déclare tout de suite, je ne conteste pas la filiation. Mais d'abord est-elle directe? Et, si elle est directe, le texte latin n'a-t-il pas été traité avec une désinvolture qui rappelle assez, dépasse plutôt même, l'inexactitude de ce qu'on a appelé « les belles infidèles »? Prenons l'épisode d'Hector rencontrant sa femme et son fils 1 : Colloquium petit interea fidissima conjux Hectoris AndromsiChe, parvumque ad pectora natum Astyanacta tenet, cujus dum maximus héros Oscula parva petit, subito perterritus infans Convertit timidos materna ad pectora vultus, Terribilemque fugit galeam, cristamque micantem. Utque caput juvenis posito detexerat aere, Protinus infantem geminis amplectitur ulnis, Attollensque manus : « Precor, o nater optime, dixit, Ut meus hic, pro quo tua numina, natus, adoro, Virtutes patrias primis imitetur ab annis. » (V. 564-574.)
La muger de Ector, Androne le dezien, todos dezien bien della quantos la conosçien 2 : temies del marido que gelo matarien, que unos malos suenos siempre la persseguien 3. Priso Astemiata en braços su fijuelo, aduxol antel padre Z lloro el luego : quisolo saludar, refusolo el moçuelo, touieron tales hy ouo que era mal aguero. Esto peso a Ector Z ouo mal sabor, alçaron sege los pelos, pero non por pauor : dixo el muger que era sabidor, que ouiera el ninno de las armas paor. Tolliosse luego el elmo Z descobrio la faz, conociólo el ninno Z fuel a dar paz : a esto dixo Ector : fijo esto me plaz : Dios te faga omne bueno, ca yo uome al az 4. (O, str. 541-544.) J'ai mis en italiques les passages à rapprocher. Ils sont assez nombreux. Je ne m'étonnerai pas si l'on préfère le texte espagnol, ne serait-ce que pour la simplicité charmante du récit. Et pourtant Vlliade latine est plus près de l'Iliade d'Homère (VI, 466), pour ce qui est de certains détails, sauf qu'elle laisse tomber l'admirable vers (471) : Σκ δ'εγελασσε πατηρ τε φιλοσ καί ποτηια μήτηρ que traduit, au moins indirectement et à moitié, le « fijo esto me plaz » de notre poème ; quant au δακρυοεν γελασσα absent du latin, n'en retrouvons-nous pas quelque trace dans le « lloró él luego »? Comment expliquer ce retour vers la sensibilité homérique? ce sourire et ces larmes 5 qui reparaissent dans les vers castillans? Et, maintenant, le duel d'Hector et d'Ajax :
Ergo ubi dejectis auratam régis Atridae Sortibus in galeam, magnus processerat Ajax, Concurrunt armis Ajax crudelis et Hector. Principio jactis committunt praelia telis, Mox rigidos stringunt enses, et fortibus armis Decernunt, partesque oculis rimantur apertas ; Et modo terga petunt, duros modo fortibus ictus Depellunt clypeis : ingens ad sidera clamor Tollitur, et vastis impletur vocibus aether. [Altérni vibrant gladios, et vulnera miscent] Non sic setigeri exacuunt fervoribus iras, Pectoribusque premunt, vastis, modo dentibus uncis Fortia terga petunt, spumantque per ora vicissim : Fumiferae nubes, concretaque fulgura, et ignés Jactantur, magnoque implentur murmure silvae : [Talis Priamides, simul Ajax fortis in armis] Tandem animis armis que furens Telamonius Ajax Insignem bello petit Hectora, quaque patebat Nuda viri cervix, fulgentem dirigit ensem. Ille ictum céleri praevidit callidus astu, Tergaque submisit, ferrumque umbone recepit, Sed levis extremas clypei perlabitur oras Ensis, el exiguo cervicem vulnere libat. (V. 588-610.) Les trois vers « Non sic setigeri... vicissim » ont été exploités, et assez heureusement, par le poète espagnol, mais plus haut, à la str. 536 de O, à propos du combat d'Hector et de Diomède : Sedien cuemo verracos que estauan porfiosos, Los colmiellos amolados, los labros espumosos, Las sedas levantadas pareciense 6 los ombros, Dábanse grandes golpes los unos a los otros. Et les sept derniers se retrouvent à propos du combat avec Ajax, aux str. 555-557 de O. C'est là d'ailleurs qu'est invoqué le témoignage d'Homère (défiguré en ome dans P) : Ayaz era artero S de buena rayz, cuedo dar a Ector por medio la çeruiz ; mas encobrios Ector, cuerno Omero diz, pero rompiol vu poco de la loriga terliz. Diol en «orno del ombro una pequenna ferida, por iiii°. logares rompiol la camisa, legol a la carne, salió la sangre bíua... (O, str. 555-556.) A ce qui suit dans l'Iliade latine correspond un passage qui n'est complet que dans P 7et que Morel-Fatio ne connaissait donc pas dans son entier au moment où il écrivait son article de la Romanía. C'est d'abord la lutte à coups de pierre, puis le dialogue des deux héros qui se reconnaissent comme parents et se réconcilient : épisode à rapprocher de l'Historia Troyana (p. 48 de l'éd. Menéndez Pidal-Vallejo ; cf. Bull, hisp., 1936, p. 91). Je ne reproduis du texte de P, qui est long (neuf strophes), que ce qui est inspiré du latin ; mais je mets en italiques dans ìe poème latin ce qui se retrouve dans ce texte :
Acrius adversum cursus consurgit in hostem Priamides, nec jam ferro Telamone creatum, Sed magno saxi jactu petit : at férus Ajax Ingentem clypeo septemplice depulit ictum, Et juvenem saxo percussum sternit eodem. Quem levat exceptum Graiis inimicus Apollo, Integratque animum : jam rursus ad arma coibant, Stringebantque iterum gladios, quum fessus in undas Coeperat igniferos Titan immergere currus, Noxque subire polum : juxta mittuntur, utrosque Qui dirimant a caede viros, nec segnius illi Deponunt animos : tum bello maximus Hector : « Quae te terra virum, qui te genuere parentes? Viribus es proies generosa atque inclyta? » dixit. Contra haec dicta referre parat Telamonius Ajax : « Hesiona de matre vides Telamone creatum, Nobilis illa domus fama, et generosa propago. » Hector ut Hesionae nomen casusque recordat, « Absistamus, ait, sanguis communis utrique » ; Ajacemque prior aurato munerat ense, Inque vicem, quo se bellator cinxerat Ajax, Accipit insignem vario caelamine balteum. (V. 611-632.)
(P, 569.) Condeso el espada dentro en su vasera, dexo correr vn canto grant de fiera manera, cuydole dar ad Ajas en medio la mollerà, mas pusol el escudo Ajas en la carrera. . . . . . . . . . . . . . . (573.) Començaron entranbos a firmes a luchar, Ajas con el miedo non se dexaua echar; plogo a dios e ouo la noche a vuiar, mandaron las justicias que quedase el lydiar. (574.) Ouieron a quedar los toros lydiadores... (575.) Preguntoli a Ajas Etor a la partida : « digasme, caballero, sy dios te bendiga, de qual lynaje vienes, sy ayas buena vida, querría tu facienda auer bien entendida. » (576.) E dixo Ajas : « de aquesto de daré Raçon ; parientes oue muy nobles, maguer muertos son, mi madre fue Esiona, mi padre Tolomon, las tierras do nasci en medio Gresçia son. » Ne perdons pas de vue que cet épisode du combat d'Hector et d'Ajax dérive en définitive de l'Iliade homérique (ch. vii), où l'épithète septemplice se retrouve dans le σάκος έπταβόειονs des vers 220, 222, 245 et 265, ainsi que la bataille à coups de λίθος et de λάας 8. Seulement, il n'y est pas question d'Hésione, comme dans l'Historia Troyana et l'Iliade latine. En somme, on peut dire jusqu'ici que le poème latin est à l'origine ; mais rien ne prouve encore péremptoirement qu'il ait été sous les yeux du poète espagnol. Que dire de l'épisode de Glaucus et de Diomède ? Interea Glaucus stricto contendere ferro Cum Diomede parat, nomenque genusque roganti, Quis sit, et unde ferat, magnis cum viribus hastam Mittere tentabat ; tentanti AEtolius héros, « Quo ruis ! exclamat ; quae te, scelerate, furentem Mens agit imparibus mecum concurrere telis? Hospitis arma vides, Veneris qui vulnere dextram Perculit, et summo repulit certamine Martem. Pone truces animas, infestaque tela coerce ». Post haec inter se posito certamine pugnae Commutant clypeos, inimicaque praelia linquunt. (V. 551-563.)
Aluctas en este comedio buscaron alze mala 9, alçosse con Diomedes en medio de la bataia, cuedos que lo podrie derrocar sines falla, diol grant golpe en medio de la taula. Diomedes fue bueno e muy mesurado, non dio por ello nada e estiedo callado : bien creo que en mi, diz, fueste engannado ; se non non me ouieras assy golpado. Mas perdonot esto e fagote grant amor, porque non fueste de mi sabidor : si mas te contez prendras mal onor : dixo don Eluctas : esso non plega al Criador. (O, 545-547.)
Les deux passages ont évidemment une ressemblance, mais trois mots en tout, groupés, les rapprochent. En revanche, voici un passage qui nous ramène aux manuscrits et aux anciennes éditions du latin : El pros Diomedes, firme en todo lugar, ovo quando lo vio yra e grant pesar ; ally ovo commo dicen a Ageo a matar ; aforço los griegos Z fisolos tornar. (P, 588.)
Princeps Tydides ardentibus emicat armis, Per mediosque hostes immani turbine fertur, Hic illi occurrit fatis Aegœus iniquis Telum immane manu quatiens, quem maximus heros Occupat, et duro medio transverberat ense. (V. 665-671.)
Je rétablis la leçon Aegoeus, à laquelle Wernsdorf, après Bondam, substitue Agelaus, bien qu'il l'ait trouvée dans tous les manuscrits et imprimés. On voit qu'elle se rencontrait également dans le manuscrit de l'llias latina dont dépend d'une façon ou d'une autre le poème espagnol. Mais ici le ms. O porte Aguyson au lieu d'Ageo, qui me paraît indiscutable et marque un point sérieux en faveur de P. Morel-Fatio, naturellement, ne pouvait que proposer Agelaus. Je ne vois pas trace, dans le poème espagnol, du petit épisode qui suit dans l'Iliade latine (combat de Teucer et d'Hector (v. 672-681) 10 ; mais on y retrouve les Grecs attaqués dans leurs retranchements par Hector et les Troyens (v. 681-687). Les legati qu'ils envoient à Achille (690-696) s'y retrouvent aussi ; ils emploient même le style direct, et non l'indirect comme en latin ; mieux encore, ils obtiennent, contrairement à ce qu'on voit dans ce dernier, une bonne réponse (O, 567-572 ; P, 594-599) autant qu'on peut comprendre, en tout cas elle remonte le moral déprimé des Grecs. Puis c'est (v. 698-738) l'expédition nocturne de Diomède et Ulysse, qui, comme au ch. x d'Homère (v. 204-525) rencontrent Dolon (Δόλον, devenu Malon dans O, Melon dans P)11, l'espion troyen, lui font avouer, novice qu'il est, tous ses secrets, puis lui coupent la gorge, entrent dans la tente de Rhésus (Rison dans O, Çeso dans P), le massacrent, et enfin
Thracis equos rapiunt, quos nec praecederet Eurus, Nec posset volucri cursu superare sagitta... prisïeron dos cavallos12 dos bestias tan ligeras, que fuera Buçifal non avien conpafieras. (P, 607.) Cette page de l'Iliade13 soi-disant pindaresque est un peu longue pour être reproduite ici. Elle fait quarante vers, exactement comme celle du Libro de Alexandre qui en est tirée, et qui ne présente guère, en supplément, que cette saillie : fizoles Dios grant merçed Z gran gracia, mas plogo a los griegos que ganar toda Françia, pero los fazederos non cogieron iactançia. (O, 581 14.) A la strophe suivante, la réflexion prêtée à « Ector » dans O, c'est « Nastor » (sic) qui la fait dans P; et cela nous rapproche de la source latine, où c'est bien de Nestor qu'il est question ensuite. Cet épisode très complaisamment circonstancié dans Homère, à travers cet epitome en pauvres et artificiels hexamètres latins15 est passé, bien étriqué, dans les alexandrins espagnols ; mais le récit se tient et ne manque pas de relief. L'expression, en tout cas, n'est pas sans vigueur et elle est généralement bien appropriée : Asmo yr prender lengua Z palabra çertera... yxiera otrosy solo commo ladron... al cabo de una cuesta que querie deçender... Delon pasa non pasa, echaron en el mano... (P, 601-604.) Cortaron la tiesta luego en las primeras, alçola Diomedes luego en las troseras 16. (P, 607.) Quant à « Buçifal », il était naturel que l'auteur de l'Alexandre y pensât pour traduire le vers où il est question de l'Eurus, qui n'aurait rien dit à ses lecteurs ou auditeurs. Morel-Fatio a noté dans son article (p. 85) que les str. 582-584 (de O) ne proviennent pas du texte de Pindare. La str. 583 renferme une allusion très claire à la ruse d'Ulysse pour faire sortir Achille du couvent, ce n'est donc pas d'Hector qu'il s'agit. Or, dans P, c'est « Archiles »17 et non « Ector » qui fait cette allusion, laquelle est donc venue fort à propos à l'esprit de l'auteur.'Celui-ci s'est reporté à ce qu'il avait dit lui-même :
e fiçolo en orden de sorores entrar. (P, 395 18.) Enfin, le tornafugi de O, 706 19, que Morel-Fatio considère comme un "απαξ, est très caractéristique de la tactique de l'époque : c'est le torna fuye sur lequel M. Jaime Oliver Asin a donné d'intéressantes explications dans son étude Origen árabe de rebato (1928, cf. Bull, hisp., 1930, p. 275). Cette confrontation partielle et superficielle des deux poèmes ne fait donc que compléter et confirmer les précieuses indications fournies par Morel-Fatio sur la façon dont l'auteur du Libro de Alexandre a pu exploiter l'Iliade latine : de très haut, avec beaucoup de liberté, et, après tout, non sans quelque personnalité. Il a de l'imagination et même de la verve.. Il reconstitue et il rapproche. Et n'est-ce pas le trait commun à tout le mester de clerecía, qu'il s'agisse de l'Apolonio, ou du Fernán Gonzalez, ou des pieux poèmes de Gonzalo de Berceo, cela à des degrés divers, qui tiennent à la personnalité des différents auteurs? Et c'est précisément en tenant compte de ces habitudes fort libres et assez fantaisistes du mester qu'on peut admettre que c'est bien de l'Ilias latina que notre auteur s'est inspiré directement. Parallèle, on le sait, à cette reconstitution de l'épopée homérique à travers la pauvre Iliade latine, est celle de Benoît de Sainte-Maure 20 à travers le bref sommaire du soi-disant Darès le Phrygien, complété 21 par le soi-disant Dictys le Crétois, le premier tenant 52 pages et le second 113 dans la collection Teubner (éd. F. Meister)22. Et l'on sait aussi que Benoît, du vers 5703 au vers 15567, est la source de l'Historia Troyana récemment publiée par M. Menéndez Pidal, qui la dénomme aussi Troyana polimétrica et qui déclare que si bien la prosa, salvo pocas excepciones, es mera traducción del Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, en cambio los versos son en su mayor parte originales... (p. ix), enfin qui y retrouve', ici et là, des « representaciones de la vida cortés y de la antiguidad clásica », et même une « arqueológica presentación de los usos paganos que tanto falta al autor del Libro de Alexandre » (p. x). Il la date des environs de 1270 (p. ix). Et à côté de cette version en prose et vers, il y a la version toute en prose dite d'Alphonse XI (parce qu'il en eut l'initiative) et datée du 31 décembre 1350. Elles ont été étudiées l'une et l'autre et comparées dans la Revista de Filología Española (1916, p. 121-165), par A. G. Solalinde, qui dit notamment, dans sa conclusion, que « la Historia Troyana del italiano Guido de Columna 23 no se mezcló en la derivación española de la obra de Benoît » (p. 165) ; mais le début s'en retrouve traduit, dans un manuscrit (Esc. L-ii-6) qui contient aussi des fragments des deux autres (cf. Pidal, ibid., p. xx). Aussi bien dans la Crónica general que dans la General Historia, d'après ce que dit M. M. Pidal (Ibid., p. vu), il est question de la guerre de Troie. Pas dans la première Crónica general, celle, du moins, qu'a publiée l'illustre maître (N. B. A. E. 24), mais dans celle de 1344, sans doute, car il y a là un chapitre sur les rois de « Frigida, que despues llamaron Troya25 ». Enfin, M. Agapito Rey a publié (1932) les Sumas de Historia Troyana mises sous le nom de « Leomarte », et tirées « de las dos obras de Alfonso el Sabio y de Guido de Colonne » (Pidal, Ibid., p. vii). Ce « Leomarte » avait intrigué Morel-Fatio, qui le voyait invoqué à plusieurs reprises, comme autorité, dans la compilation Delgado, c'est-à-dire la Crónica Troyana imprimée à Séville, 1545, et qui avait, après Mussafia, noté qu'elle « suit très-exactement Guido partout où celui-ci est la seule source (Romanía, loe. cit., p. 80). Je n'ai pas à en dire davantage pour faire ressortir ce qu'ont de de très spécial les origines de cette longue digression du Libro de Alexandro sur la guerre de Troie : c'est encore un trait notable de sa physionomie. Tandis que, surtout par les deux minces ruisselets du « Darès » et du « Dictys », s'alimentait tout ce chapelet de vastes étangs qui va de France (Benoît) en Italie (Guido) et jusqu'en Espagne (Version en prose et vers et Version en prose), le Libro de Alexandre26 se gonflait de l'apport à peu près exclusif d'un prosaïque compendium en vers latins, pour suivre rapidement les épisodes belliqueux de la guerre de Troie depuis la dispute d'Achille ot d'Agamemnon jusqu'après la mort d'Hector : cela, en manière d'introduction au sujet principal. L'appoint n'était pas négligeable, d'autant qu'il était inédit pour les legos et peut-être même, sous cet aspect, pour les clercs du xiiie siècle ; et c'était un bon préliminaire à l'histoire d'Alexandre, qui, de l'autre côté des Pyrénées, excitait depuis un siècle les poètes francisants et latinisants, et, avec eux, les jeunes hommes désireux de partir, de voir et de se battre.
NOTAS 1. Je me sers de l'éd. Wernsdorf dans les Poetae latini minores (Lemaire, 1824, t. III), à défaut du Pindarus Thebanus, Ilias, de L. Muller. Berlin, 1857. 2. Je néglige de distinguer les trois sortes d's (t, f et s) qu'on trouve dans l'un ou l'autre des mss., à plus forte raison les i et j. 3. Cf. l'Historia Troyana (citée plus loin), p. 199. Elle se rattache ici au sec récit du soi-disant Darès le Phrygien dans De excidio Troiae Historia (§ XXIV, p. 28 de l'éd. F. Meister). 4. Cf. Hist. Troyana (p. 205), où, de la touchante scène homérique, il ne subsiste que la présentation de l'enfant à Hector, lequel ne s'apitoye nullement. Cet enfant, appelé Amentantes, n'est d'ailleurs que « el menor » ; il a un frère plus âgé, Laudomata (p. 199), qui procède du soi-disant Dictys le Cretois (p. 63 de l'éd. Meister). 5. Dans le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, il y a aussi des larmes, celles d'Andromaque :
Mais, comme dans l'Historia Troyana, Hector reste insensible :
7. Édité par Morel-Fatio en 1906, il n'avait été acquis par la Bibl. nat. de Paris qu'en 1886 (cf. p. xvn de PIntr. à cette édition). 8. Cf. Victor Hugo dans La Légende des siècles (Le petit roi de Galice) :
9. P (557) « busco abse mala » donne la bonne leçon. 10. Et dans Homère (ch. ix) où l'accueil est bon, mais la réponse mauvaise et désespère les Grecs. Darès (XXX, p. 36) dit sans nuances : « cœpit male eos accipere qui ad eum venerat. » 11. Dans P encore, str. 604, je le retrouverais, décomposé en De Ion :
Morel-Fatio lisait « De on » ; Willis, « De Ion ». 12. « los caualleros », O, 580. 13. C'est la Dolonie homérique résumée. Il n'est question de Dolon dans l'Enéide que d'une façon occasionnelle et, du reste, laudative (XII, 347). 14. P ne diffère que par l'ordre des vers, et « pitança » au lieu de « gracia ». 15. Ils sont à peu près de la force de ceux que nous commettions sans peine, à l'aide du Quicherat, dans nos classes de quatrième, il y a cinquante ans. 16. O : « en su troxera, » Même sens, je suppose, que troxa ô troxada, « la alforja, talega, ô mochila del soldado, en que elleva la comida » (Dicc. de Aut.). Le geste de Dio-mède ne manque pas d'allure. 17. En revanche, c'est non pas « Ulyses » qu'il faut lire avec Sánchez à la place de a Achules », que donne O à la str. 234, mais « Elçides », fourni par P (241 a). En éditant ce dernier ms., Morel-Fatio a pu rectifier lui-même l'hypothèse qu'il avait émise p. 79 de son article et qui, au surplus, était fort plausible. 18. De même dans O, 387, mais « serores ». 19. P. 733 : « torna fuy. » 20. Voir, p. 192 de l' Introduction qui forme le t. VI du Roman de Troie, publié par Léopold Constans (Paris, 1912), qui le date des environs de 1155 et qui a édité depuis (1922), avec E. Faral, Le Roman de Troie en prose. 21. A partir du v. 24425 jusqu'au v. 30255. 22. Il est curieux de comparer l'énormité du contenu des quatre volumes que prend le poème français dans l'édition L. Constans, avec le minuscule imprimé de 1630, Amsterdam, dont la Bibliothèque universitaire de Bordeaux possède un exemplaire, provenant d'Arsène Darmesteter, et portant comme titre : Diclys \ Cretensis | de bello Troiano | et | Dares \ Phrygius \ de excidio Troiae. \ (Sphère céleste) | Amsterdami, \ Apud Guilfelmum Blaeuw. | CIOIDCXXX. 23. Rappelons ce que dit L. Constans à son sujet (Intr. au Roman de Troie, p. 318) : « Bien que l'auteur, qui cite souvent Darès et Dictys, ne nomme jamais Benoit, il est certain qu'il l'a eu sous les yeux... » Il termina son œuvre en novembre 1287 (Ibid.) ; et il n'est pas, comme on l'a prétendu, une des sources du Roman en prose (p. 265), non plus, du reste, que du Libro de Alexandre, du moins pour la partie où Y Iliade latine fournissait la matière ; car là elle règne sans conteste. 24. Si ce n'est par une allusion au début du ch. 57 de la N. B. A. E. (p. 38), à propos d'Énée. 25. Cf. Pidal, Catálogo de la R. Bibl., Crónicas generales de España, 3ª éd., p. 53. Quant à la Troisième, M. Pidal nous dit que les deux premières parties « no difieren gran cosa de la Primera Crónica » (Ibid., p. 127). C'est celle qu'a publiée Ocampo en 1541 et qui a été réimprimée à Valladolid en 1604. 26. Sur l'attribution à Juan Lorenzo de Astorga, M. Menéndez Pidal (Ibid., p. vii) ne manifeste pas d'hésitation.
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